Retrouvez les conseils lecture de l’Indépendant tout cet été. Première livraison avec des nouvelles, des BD et autres romans pour oublier totalement le quotidien.
Nouvelles – La femme et la meute
Louise Mey, révélation des Vendanges Littéraires de Rivesaltes l’an dernier, aime raconter la noirceur de la vie quotidienne. Dans cette nouvelle, elle imagine Geneviève, une femme handicapée. Sourde et aveugle. Le monde, elle le vit au bout de ses mains.
Pour communiquer. Les odeurs aussi lui permettent de se repérer, d’apprécier cette vie que tout être normalement constitué considérerait invivable. Seule dans sa maison, elle n’a pour compagnon qu’un chien. Quand il meurt, elle ne veut pas le remplacer. Quand une meute de chiens (ou de loups ?) passe dans les parages, elle sent cette femme aux vibrations différentes. Et décide de s’installer dans le vaste parc, de cohabiter avec celle qui sent leur présence.
Ce texte, court, incisif, lumineux, est une ode à la nature. On a envie de se joindre à Geneviève pour se baigner dans un étang, se rouler dans l’herbe, se pelotonner contre un chien chaud et rassurant. Mais dans le monde de Louise Mey, il y a des hommes, autoritaires, violents. La nouvelle prend un virage radical. Comme si toute la haine de notre monde devenu fou se déchaînait contre Geneviève.
« La femme aux mains qui parlent », Louise Mey, Au Diable Vauvert 80 pages, 12 €
BD – Murailles invisibles
Mais que s’est-il passé au moment de la formation des murailles invisibles sur Terre ? Cette interrogation Lino ne cesse de se la poser depuis trois mois. Trois mois qu’il survit dans cette zone coupée du reste du monde.
Lors du premier tome de cette série BD de SF écrite par Alex Chauvel et dessinée par Ludovic Rio, il apprend que le pays, voire la planète, a été découpé en zones par ces murailles invisibles. Impossible de passer de l’une à l’autre. De plus, le temps ne s’y écoule pas à la même vitesse.
Quand il est aidé par un groupe qui lui peut aller de zone en zone, il apprend que dans certaines zones, plusieurs siècles ont vu les survivants perdre puis retrouver connaissances et technologies. Le second tome plonge le petit groupe dans l’horreur. Ils vont devoir fuir des mutants et se réfugier dans les ruines du métro. Mais là, d’autres monstres les attaquent.
On retrouve un peu de l’imaginaire des séries de Léo dans cette BD. Même si l’on n’est pas sur des planètes inconnues mais sur Terre, là où le temps rapide a permis des évolutions hasardeuses et dangereuses. La science pourra-t-elle sauver le groupe de Lino ? Cet épisode consolide le monde des Murailles invisibles et donne de nouvelles pistes pour la suite.
« Les murailles invisibles » (tome 2), Dargaud, 92 pages, 25,30 €
Chronique – Guégan se souvient
Ce recueil de souvenirs de Gérard Guégan, intitulé Le Chant des livres, est un véritable voyage dans le temps et la littérature du XXe siècle. Jeune Marseillais « monté » à Paris pour devenir journaliste à l’Humanité, ce militant du parti communiste a longtemps lu et pensé conformément à la ligne voulue par la direction.
C’est en découvrant d’autres écrivains qu’il s’affranchit, quitte le journal et le PCF pour devenir écrivain et éditeur. Il raconte dans ce livre constitué de petites pastilles étincelantes quelques moments de sa vie intellectuelle. Comme sa rencontre avec Jean Giono à Manosque. Guégan est adolescent mais va fumer avec le vieil écrivain. Ce dernier fume la pipe, Guégan sa « P4, la cigarette des pauvres, en recrachant la fumée sur un massif de lavande. »
On croise aussi dans ces lignes des auteurs oubliés comme Armand Robin ou Rolo Diez et quelques stars de la littérature, de Bukowsky à Jean Paulhan. Et puis il parle aussi de quelques monstres sacrés qu’il admire. Roger Nimier, Hemingway, Rimbaud. 100 pages qui donnent envie d’en découvrir des milliers d’autres…
« Le Chant des livres » de Gérard Guégan, Grasset, 100 pages, 16 €
BD – Gévaudan effrayant
Nouvelle variation dessinée sur la légende de la Bête du Gévaudan. Légende en ce qui concerne la bête. Car il n’y a pas de doute quant aux multiples morts violentes qui ont fait paniquer la population de cette contrée d’Occitanie entre 1764 et 1767.
On trouve au scénario un grand pro capable d’imaginer mais aussi d’adapter : Sylvain Runberg. Il a confié la réalisation graphique de cet album (le premier d’un diptyque) à Jean-Charles Poupard, excellent dessinateur réaliste particulièrement à l’aise dans les ambiances historiques.
On découvre les effets de ces massacres inexpliqués parmi les paysans du côté des chasseurs. Les louvetiers. Car à la base, tout le monde est persuadé qu’il s’agit simplement d’un loup un peu plus gros, intelligent et féroce que la moyenne. Mais comme il semble ne pas sentir les balles, la rumeur populaire commence à lui prêter des pouvoirs surnaturels. Le diable est vite convoqué…
Envoyé sur place par le roi en personne, François Antoine, chasseur émérite, avant d’imposer ses méthodes, devra faire avec la mauvaise humeur des autres louvetiers et des gendarmes locaux. Avec l’aide de son fils, il va finalement ramener une dépouille à Paris. Mais est-ce la véritable bête ?
« Les griffes du Gévaudan » (tome I), Glénat, 64 pages, 15,50 €
Nouvelles – Israël aujourd’hui
Pour parler de la situation actuelle en Israël, on pourrait se contenter de la litanie des chiffres : nombre d’otages civils toujours aux mains du Hamas, nombre de civils palestiniens morts dans les frappes de Tsahal. Mais la situation est beaucoup plus complexe.
Notamment à l’intérieur du pays, littéralement divisé, complètement déchiré. On prend la mesure de l’abîme en découvrant les 12 nouvelles signées Shmuel T. Meyer et composant le recueil baptisé Tribus. Des scènes de la vie quotidienne d’un pays, d’une nation, qui semble avoir vu tous ses grands rêves humanistes détruits par des décennies de guerre et d’affrontements.
Du chauffeur ou juge militaires au simple épicier en passant par les intellectuels, passés par les kibboutz révolutionnaires, tous ne comprennent pas comment on en est arrivé là. Certains n’ont qu’une envie : quitter cette région, vivre dans un pays « normal ».
Une vision peu optimiste de la l’avenir que l’on peut résumer par cette impression d’un des protagonistes, atteint d’un cancer en phase terminale : « Il aurait aimé s’effondrer dans l’oubli d’un Alzheimer égoïste et heureux, qui effacerait toutes tentatives de compréhension du monde. »
« Tribus » de Shmuel T. Meyer, Gallimard, 176 pages, 19 €
BD – Le Far-west boueux
« La boue et le sang » est le quatrième épisode de la saga de BD Wild West imaginée par Thierry Gloris et dessinée par Jacques Lamontagne. Cet ambitieux western s’appuie sur plusieurs figures de la conquête de l’Ouest américain : Calamity Jane, Buffalo Bill et Charlie Utter.
Trois durs à cuire unis pour tenter de mettre fin aux agissements d’un tueur en série profitant de la violence exacerbée de l’époque. Un Blanc qui scalpe ses victimes. Une enquête en parallèle de leur véritable boulot : hommes de main de Graham, patron de l’Union Pacific, société qui construit le chemin de fer destiné à relier les deux côtes de l’Amérique du Nord. Jane et ses amis vont à Chicago pour tenter de retrouver la piste du tueur par l’intermédiaire d’un journaliste.
Au même moment, la compagnie ferroviaire, pour faciliter les travaux, dynamite un cimetière indien. Cela suffit pour remettre Cheval Fou sur le chemin de la guerre. Cet album raconte la Grande histoire (l’expropriation des Indiens, l’exploitation des soldats noirs…) à travers la petite.
Un sans-faute pour Thierry Gloris qui signe sans doute un de ses meilleurs scénarios, parfaitement servi par le dessin réaliste d’une grande précision du Canadien Jacques Lamontagne.
« Wild West » (tome 4), Dupuis, 48 pages, 15,50 €
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