Etrange littérature française où, mise à part la grisaille actuelle, tout prend toujours l’air d’une guerre de religion civile. Droite-gauche, catholiques-protestants, Montaigne ou Pascal, Racine ou Corneille, Voltaire ou Rousseau, Chateaubriand ou Stendhal, Baudelaire ou Hugo, Gide ou Claudel, Breton ou Aragon, Proust ou Céline, Sartre ou Camus… Quant à Paulhan et Mauriac, qui aurait cru que le représentant du Diable et celui du Bon Dieu avaient échangé, pendant quarante-deux ans, des lettres aussi fiévreuses, aussi amicales ? Voilà une surprise, et elle est de taille. Ils ne sont d’accord sur presque rien, mais les voilà, pour finir, à l’Académie, et, mieux encore, l’un décorant l’autre du grade de commandeur de la Légion d’honneur. Cela se passe en 1949, et l’auteur du Noeud de vipères et de Souffrances du chrétien remet ses insignes au futur préfacier d’ Histoire d’O et à l’admirateur de Sade et de Lao-tseu. Quelques jours avant, François prévient Jean : « Il s’agira de nous regarder sans rire. » Ils ont ri, et ces deux antifanatiques ont sans doute pensé à leur devise dans la Résistance (et après) : « Ni flics ni mouchards. »
Humour et gravité de ces deux-là, civilisation extrême. De 1925 à 1967, leur dialogue et leurs brouilles vite effacées traversent l’histoire littéraire et politique du chaos français. Deux voix : celle, cassée, de la « corneille élégiaque » (avec ses fous rires d’adolescent) ; l’autre pointue et modulée de l’éminence grise de la NRF (avec ses brusques énigmes). Paulhan est un logicien mystique qui s’ingénie à marier les contraires et à pratiquer le don des admirations multiples. Mauriac est un romancier lyrique et célèbre dont le catholicisme ombrageux n’arrête pas d’intriguer son adversaire protestant. Le plus puritain des deux ? Paulhan, peut-être, qui finit par avouer qu’il a dû faire des efforts du côté de l’impureté : « J’ai toujours manqué de tentations. Une vie de moine m’aurait parfaitement convenu. » Et Mauriac : « C’est l’érotisme des autres que nous détestons. Chacun a le sien, qu’il a ou non dominé. » Paulhan (très tôt) : « Dès que vous ne cherchez plus à me convaincre, j’ai grande envie de vous donner raison. » Mauriac, rusé : « Je ne suis pas un esprit subtil. Ne voyez là ni fausse humilité, ni surtout la moindre ironie. » A la guerre frontale Gide-Claudel succède donc ici une longue bataille chinoise, drôle, émouvante, dissimulée, pleine de double jeu (Paulhan faisant éreinter Mauriac par Sartre), de dérobades, de sincérité, de ténacité. Chacun lâche du terrain quand il faut, campe sur ses positions, contre-attaque. Les sujets d’affrontement ne manquent pas, le principal étant Gide (que Mauriac, d’ailleurs, aime peut-être plus que Paulhan). Gide s’enthousiasme pour l’URSS ? Mauriac : « Quelle frénésie ! Quel désarroi ! » Paulhan, lucide : « Je ne le crois pas fait pour demeurer bolcheviste. » Quelle que soit l’hostilité de la NRF à son égard, Mauriac, tacticien, ne veut pas rompre avec elle : « Vous êtes le seul mauvais lieu où je puisse dire certaines choses. » Paulhan lui joue des mauvais tours mais n’arrête pas de lui demander des textes. Mauriac écrit-il sur Proust (que Paulhan, au fond, méconnaît) qu’il reçoit aussitôt un compliment : « Je ne connais rien sur Proust qui soit aussi fort et aussi juste. » En fait, l’Histoire va les réunir dans la Résistance, et ils vont être attaqués tous les deux dans Je suis partout. Paulhan : « Comme il est agréable d’être malmené par des gens que l’on n’estime pas. » Mauriac, de son côté, s’indigne de « l’infâme article de Cocteau sur Breker ». On reste d’ailleurs ahuri de la violence des mots de cette époque contre tel ou tel. Mauriac est « abreuvé d’injures », comme dans ce passage abject des Décombres de Rebatet : « L’homme à l’habit vert, le bourgeois riche, avec sa torve gueule de faux Greco, ses décoctions de Paul Bourget macérées dans le foutre rance et l’eau bénite, ses oscillations entre l’eucharistie et le bordel à pédérastes qui forme l’unique drame de sa prose comme de sa conscience, est l’un des plus obscènes coquins qui aient poussé dans les fumiers chrétiens de notre époque. » A quoi Mauriac se contentera de répondre : « Un polémiste-né est presque toujours un homme qui a échoué dans le roman ou au théâtre… Une existence consacrée à l’invective, comme celle de Léon Daudet, prend toujours sa source dans un cimetière d’oeuvres avortées. »
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