Épisode 4/4 : « Bonjour tristesse », bonjour succès ! Françoise Sagan, écrivaine populaire

« Adieu tristesse,
Bonjour tristesse.
Tu es inscrite dans les lignes du plafond.
Tu es inscrite dans les yeux que j’aime »
. Ce n’est que trois ans après l’écriture de ces vers par Paul Éluard, dans La Vie immédiate en 1932, que naît Françoise Sagan. En 1954, alors qu’elle a 19 ans, ce sont ces mots qui servent de titre à son premier roman : Bonjour tristesse, bonjour succès ! Françoise Sagan, une écrivaine populaire.

« Bonjour tristesse », une entrée fracassante dans le monde littéraire

Le mince roman de Françoise Sagan, alias Françoise Quoirez, est publié par René Julliard en mars 1954. La mise en scène de la jeune autrice encore mineure au moment de la rédaction du roman, comparée à  Raymond Radiguet et à son succès météore, est habile et ne manque pas de toucher le public. Le style cynique et moraliste d’une adolescente qui décrit le monde doré et cruel d’une autre adolescente, Cécile, surprend, impressionne et choque. En mai 1954, Bonjour tristesse obtient le Prix des Critiques, décerné par un jury qui comporte entre autres Georges Bataille, Maurice Blanchot, et Jean Paulhan. C’est la consécration.

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La presse se fait élogieuse, Sagan est partout, et bientôt, des voix plus acides, notamment issues du milieu littéraire catholique, s’élèvent pour juger sévèrement la jeune écrivaine et son premier roman. François Mauriac condamne par voie de presse le « dévergondage de l’adolescence féminine », et conspue ce « charmant petit monstre de 18 ans », cette « sorcière » qui s’essaie pour la première fois à l’écriture. La polémique est lancée. Céline et Cocteau écrivent des articles incendiaires sur Sagan, Boris Vian au contraire la soutient. « Céline était un peu jaloux que Sagan vende autant. C’est aussi pour cela que Sagan est considérée comme une auteure populaire, parce qu’un auteur, ‘un vrai’, ça ne vend pas autant, ça souffre, ça vit reclus et désargenté », explique Flavien Falantin, auteur de Faut-il brûler Sagan ? (Classiques Garnier, 2023).

Françoise Sagan vient de faire une entrée fracassante dans le petit monde littéraire. « Si elle cite Paul Éluard [dans le titre de son roman, ndlr], c’est qu’elle estime être à son niveau, alors que c’est son premier roman », fait remarquer Céline Hromadova, autrice de Françoise Sagan à contre-courant (Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2017). « C’est une façon de se légitimer et d’entrer un peu dans le panthéon littéraire des auteurs qu’elle admire. »

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Une écrivaine qui interroge la morale

Succès de scandale, succès populaire, Bonjour tristesse se vend bien, et même très bien. À la fin de l’année 1954, un million d’exemplaires ont été écoulés. Traduit dans une vingtaine de langues, le roman, devenu un best-seller en France, rencontre également un grand succès aux États-Unis, où il est adapté en 1958 pour le cinéma par Otto Preminger, avec Jean Seberg dans le rôle de Cécile. La même année, le livre est mis à l’Index par le Vatican pour immoralité et est interdit dans plusieurs pays. « Le livre a été traduit en latin, alors qu’il a été mis à l’Index. [Son succès] est stupéfiant », constate Céline Hromadova.

Comment expliquer un tel déchaînement autour de ces 150 pages ? Il est reproché à Sagan d’avoir imaginé un personnage hédoniste et lascif, paresseux et immoral, sensuel et débauché. Sagan présente en effet l’éveil des sens d’une jeune fille qui dispose librement de son corps. Décrire le plaisir féminin en 1954, c’est en effet osé. Pour bien des critiques, cela fait de Bonjour tristesse un roman obscène. Rétrospectivement, la critique a fait du scandale Sagan un signe avant-coureur de la libération des mœurs des années 1960. « Avec Françoise Sagan, pour la première fois, les femmes sont libres. Elles couchent avec des garçons et elles ne sont ni punies par la sanction millénaire de la grossesse, ni par le mariage. C’est une révolution qui va infuser auprès de la jeunesse, parce qu’enfin une femme parle de ce qu’elle connaît », raconte Flavien Falantin. « C’est une révolution dans les mœurs, parce que c’est une romancière jeune, qui interroge la morale et qui le fait avec une certaine insouciance. »

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Une icône pleine de paradoxes

En même temps que le personnage de Cécile, c’est bien vite Sagan elle-même qui devient le symbole d’une jeunesse désinvolte et libre. Devenue riche et célèbre presque du jour au lendemain, la jeune romancière doit faire l’apprentissage de la notoriété, qui ne la laisse pas indemne. Son mode de vie, le luxe et les excès auxquels elle se livre, tout cela intrigue et fascine. La légende Sagan est née – avec son cortège de casinos, de whisky, de drogues, de sorties jusqu’à l’aube, de liaisons, et de voitures de sport conduites à tombeau ouvert. Pourtant, cette légende abondamment relayée par la presse et la télévision conduit généralement à occulter l’œuvre de Sagan. Si Sagan est un animal médiatique espiègle et brillant qui séduit et dérange, l’une des premières figures people, elle est également une écrivaine à l’œuvre protéiforme et prolixe, qui est aussi dramaturge, nouvelliste, scénariste et dialoguiste, parolière et même chroniqueuse. Pour Céline Hromadova, « Sagan est inclassable. […] On n’arrive pas vraiment à l’identifier, à la mettre dans un mouvement. » Sagan n’a cessé de défendre une conception populaire de l’art sous toutes ses formes, tout en revendiquant une filiation littéraire élitaire. « Sagan, on la jalouse, on dit que ses romans ne sont pas dignes des grands auteurs et en même temps, personne n’arrive à faire du Sagan », résume la chercheuse.

Pour en savoir plus

Flavien Falantin est professeur assistant en études francophones à l’université de Colby College aux États-Unis. il est spécialiste de Sagan et d’études de genre. Il est l’auteur de Faut-il brûler Sagan ? (Classiques Garnier, 2023).

Céline Hromadova est agrégée de lettres modernes et docteure en civilisation et littérature française. Elle est spécialiste de Françoise Sagan. Elle a publié Françoise Sagan à contre-courant (Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2017) et a rédigé la préface de Les Années Sagan de Denis Westhoff (Éditions Gourcuff Gradenigo, 2024).

Céline Hromadova et Flavien Falantin ont dirigé Bonjour tristesse 1954-2024 (Classiques Garnier, 2024).

Références sonores

Archives :

  • Françoise Giroud à propos de Bonjour tristesse et Françoise Sagan dans la Tribune de Paris, RTF, 23 février 1955
  • Françoise Sagan interrogée par Pierre Desgraupes au sujet du succès de Bonjour tristesse, Cinq colonnes à la une, 5 juin 1959
  • L’accident de voiture de Françoise Sagan, Actualités Françaises, 1er mai 1957
  • Jacques Chancel interroge Françoise Sagan dans Radioscopie, sur France Inter, le 22 mai 1969 et le 17 juin 1977
  • Annonce de la mort de Françoise Sagan dans le journal d’Antenne 2, 25 septembre 2004

Lectures :

  • Incipit de Bonjour tristesse de Françoise Sagan (1954) lu par Delphine Pagnol en 1955
  • « Paris juge Sagan », article de Louis-Ferdinand Céline, paru dans Arts (n° 634, 4 septembre 1957) lu par Raphaël Laloum

Musique :

  • Bande originale du film Bonjour tristesse d’Otto Preminger (1958) avec Jean Seberg dans le rôle de Cécile, interprétée par Juliette Greco
  • Générique : Gendèr par Makoto San, 2020

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